Voilà 15 ans que l’excellence ferroviaire française rayonne par delà les frontières grâce à un chiffre : 574,8 km/h. Il s’agit de la vitesse enregistrée le 3 avril 2007 par la rame TGV POS 4402 complétée par deux bogies moteurs de l’AGV pour l’occasion. Cette performance industrielle a été rendu possible grâce aux concours des hommes et des femmes d’Alstom, Réseau Ferré de France (devenu SNCF Réseau) et SNCF, réuni autour d’un projet commun.
Petite rétrospective sur cette événement hors du commun.
L’idée
L’histoire remonte au printemps 2005. La LGV Est-Européenne est alors en cours de construction. Une première idée de record est proposée par Alain CUCCARONI alors Directeur adjoint des opérations sur la LGV Est pour RFF. Il souhaite ouvrir la LGV Est Européenne (LGV EE) par un exploit qui confirmera l’excellence ferroviaire française. Une ligne droite de 24 km accessible par des courbes de 25000 m de rayon, serait un tracé idéal pour ce type d’exercice. Un rampe de lancement pourrait se situer sur les points hauts de la LGV facilitant ainsi la prise de vitesse, quelques kilomètres avant l’arrivée en gare de Champagne-Ardennes TGV.
Quelques calculs préliminaires ainsi que des simulations de marche sur la LGV EE réalisées dans le plus grand secret permettent d’espérer une vitesse de 540 km/h avec une rame TGV POS réduite. Cette objectif de 150 m/s donnera son nom au projet sous le code V150. Alain CUCCARONI parviendra à convaincre les hautes instances de la SNCF et très rapidement une petite équipe se forme au sein de la Direction du Matériel. C’est Daniel BEYLOT, déjà chef des essais à bord de la 325, qui sera “élu” chef de projet et qui devra repoussé son départ à la retraite.
C’est donc une nouvelle opportunité pour Alstom, RFF et SNCF d’établir un nouveau record ferroviaire en explorant le domaine des 500 km/h.
La conception du record
Il est certain que le projet aussi confidentiel soit-il n’est pas ignoré des cheminots, ni du monde ferroviaire. Si, discrètement il est demandé au Technicentre de Bischheim de ressortir les « grandes roues », le message « confidentiel » est vite traduit.
La LGV Est Européenne est la dernière ligne nouvelle en construction. Elle offre une distance suffisante pour les montées en vitesse d’une part et pour ménager une zone de ralentissement. Quant au matériel, les premières études de faisabilité s’orientent tout naturellement vers une rame POS configurée de manière similaire à la rame TGV Atlantique 325 : deux motrices encadrant trois remorques. Il va très vite apparaitre que les tronçons TGV R seront difficilement disponible au vu de leur exploitation. C’est donc un tronçon à 2 niveaux, en cours de construction et par conséquent disponible, qui sera choisi. Mais avec une motorisation POS, l’objectif des 540 km/h semble très incertain avec un tronçon à 2 niveaux. C’est alors que les ingénieurs vont se tourner vers la motorisation AGV en cours de développement pour compléter celle des motrices. C’est la R4 qui accueillera cette puissance complémentaire en remplacement des convertisseurs statiques fournissant les tension domestique de 400 V 50 Hz et 72 V continu, sous le bar.
C’est ainsi que naît la rame « V150 » composée de deux motrices POS et d’un tronçon de trois remorques à deux niveaux, dont une remorque dopée avec la motorisation AGV.
La réalisation
Après de nombreuses marches d’essais, le jour J est enfin arrivé. Toute l’équipe est réuni autour de la rame depuis 6h du matin. Départ à 7h40 avec la rame 4404 en tête pour aller se positionner sur la ligne de départ. L’attente est longue jusqu’au départ prévu à 13h. Chacun en profite pour vérifier et revérifier ses chaînes de mesures. Deux avions décollent de Nancy, l’un pour faire le relai et assurer la transmission de l’image et du son, l’autre pour immortaliser le moment à 200 m d’altitude. Les invités qui auront la chance de vivre ce moment de l’intérieur montent à bord de la rame. On peut compter parmi eux Anne-Marie IDRAC, présidente de la SNCF, Philippe MELLIER, président d’Alstom-Transport, Hubert DUSMENIL, président de RFF et Guillaume PEPY, directeur générale de la SNCF. Prennent aussi place à bord du laboratoire, un huissier et son clerc afin d’homologuer le record. Avec les quelques journalistes internationaux, une soixantaine de personnes auront la chance de vivre cette expérience au plus près de l’événement.
« Pour la marche 93-02, départ. » C’est par ces mots que Daniel BEYLOT donne le départ après avoir fait toutes les vérifications et s’être assurer d’avoir la voie libre. La vitesse croît assez rapidement. En quelques minutes, les 500 km/h sont atteint. C’est un plaisir ! La puissance est là ! À bord de la rame, on a juste le temps d’apercevoir les nombreux spectateurs venu en nombre sur les ponts et aux abords des voies. Ils sont récompensés par le passage furtif d’un « jet de chrome » qui file à travers le paysage à plus de 150 mètres par seconde. Les vitesses défiles sur les compteurs : 574.1, … , 574.6, 574.7, 574.8… A 13h13, l’équipe dirigeante demande de couper la traction. Le kilomètre est alors parcouru en un peu plus de 6 secondes. Peu de temps après Daniel BEYLOT annonce :
A bord : émotion, joie, fierté, sourires, complicité entre partenaires…
Après ce sprint époustouflant, la rame a pris sa vitesse de croisière à 350 km/h pour atteindre dans la bonne humeur la gare TGV de Reims – Champagne-Ardenne où une foule incroyable l’attend. Parmi eux, Michel MASSINON, conducteur de la rame 325 pour accueillir Éric PIECZAK dans le cercle très fermé des conducteurs-recordman.
Témoignages et postérité
Ce record et toute sa préparation ont eu des répercutions sur les nouvelles générations de TGV jusqu’au TGV M actuellement en construction. Ce projet aura permis à Alstom et SNCF d’explorer le domaine des 500 km/h tant sur l’infrastructure que le matériel.
Après les nombreux témoignages de tous les acteurs qui ont participer à ce record, il en ressort une incroyable aventure humaine. Une véritable symbiose des trois entreprises impliquées ainsi que toutes les équipes d’ingénieurs, de techniciens dans les ateliers et de la communication.
Après avoir accompli cet exploit cette rame d’essai unique aura fait rayonner les performances ferroviaires française à travers de nombreux événements médiatique. Elle aura vu la Cité du Train de Mulhouse pour une exposition temporaire en juin 2007, avant un passage au Jardin des Deux Rives à Strasbourg ou encore sur le devant de la Seine à Paris. Les motrices ont depuis perdu leur livrée « jet de chrome » pour revêtir une livrée spécial attestant de son histoire. Elles assurent aujourd’hui du service commercial dans le nord est de la France.
Une fantastique performance et une nouvelle preuve de l’excellence de l’industrie française.
Jacques CHIRAC, Président de la République
Entre la simulation et l’exploit, il y a les hommes.
Philippe MELLIER, Président d’Alstom-Transport
Le souvenir que j’en garderais ce n’est pas seulement celui du record, mais principalement le travail avec une équipe formidable.
Jacques COUVERT, Directeur délégué Patrimoine, Recherche et Ingénierie SNCF
C’est vraiment une très très grande aventure humaine. Et puis l’aventure de la construction de la LGV, c’est aussi une autre aventure avec de très nombreuses années de travail. Et là c’est vraiment la consécration du travail de tout le monde.
Alain CUCCARONI, Directeur adjoint LGV Est-Européenne RFF
Événements
Pour marquer cette anniversaire symbolique, le CGVF s’est mobilisé pour organiser différent événements avec nos partenaires.
03 avril 2022 : Conférence-débat à la Cité du Train à Mulhouse
Pour découvrir les coulisses de ce record du monde, une conférence-débat aura lieu à la Cité du Train à Mulhouse en présence de membres de l’équipe du record. Éric PIECZAK, Alain JEUNESSE, Bernard ROURE, Fabrice HICKENBICK, Eliane ALLAIN et Jean-Daniel NAST seront présents pour vous faire revivre cette événement et répondre à toutes vos questions. Un séance de dédicaces est prévue à l’issue de la conférence avec Éric PIECZAK pour dédicacer le livre Histoire des records du monde de vitesse du rail de Jean-Pierre MAUBERT.
Infos pratiques
Date : Dimanche 03 avril 2022, à 15h00
Lieu : Cité du Train – Patrimoine SNCF, 2 rue Alfred de Glehn, 68200 MULHOUSE (salle Michel DOERR)
Tarif : 9,50€ (le billet comprend l’accès à la conférence et aux collections du musée pour une visite libre le même jour)
Places limités à 100 personnes.
Pour les personnes n’ayant pas pu réserver ou ne pouvant pas se déplacer, la conférence sera retransmise en direct sur les réseaux sociaux.
7 avril 2022 : Conférence à l’ESTACA
Nos grands témoins ont été conviés par l’association étudiante de l’ESTACA Guided Ways pour venir témoigner de ce projet extraordinaire. Une conférence sera donnée avec les interventions de Jean-Marie METZLER, François LACÔTE, Éliane ALLAIN, Étienne FEGER ainsi que Bernard ROURE.
À 16h, une table ronde consacrée à l’avenir de la grande vitesse ferroviaire est également organisée où débattront notamment David Goeres, chef projet TGVM et Yannick Legay, directeur technico-commercial d’Alstom.
Une série d’interview des personnes qui ont permis la réalisation de ce projet a également été réalisée.
Infos pratiques
Date : jeudi 7 avril 2022, de 14h00 à 18h30
Lieu : Conférence retransmise en ligne via Teams
Glossaire
AGV : Automotrice à Grande Vitesse
Jet de Chrome : nom de la livrée revêtu par la rame d’essai
LGV : Ligne à Grande Vitesse
POS : Série de TGV dénommée Paris – Ostfrankreich – Süddeutschland
RFF : Réseau Ferré de France (devenu SNCF Réseau)
TGV R : Série de TGV dénommée TGV Réseau
Crédit photo
- © Jean-Jacques D’ANGELO